mardi 6 décembre 2011

Embruns sous les paupières (2ème partie)

Petit entretien pour mon forum d'écriture préféré (Jeunes écrivains, pour le nommer).

C'est pas très intéressant parce que ça parle de moi, mais ça laisse place à mon ego sur dimensionné, et puis ça donne quelques clés de lecture (c'est un grand mot) pour ma nouvelle Embruns sous les paupières.

Voilà, si vous souhaitez le lire, sachez que ça existe.

 http://jeunesecrivains.fr/2011/12/embruns-sous-les-paupieres/

vendredi 4 novembre 2011

J'ai noué Milo à mes Lacets

Puisqu'on est dans la rue Edison, je dois faire mention de Milo. Mon texte le plus sonore, je crois.

C’est un secret qu’on me jalouse,
L’incarnation de mes espoirs,
Petit bonhomme en Arial douze
Nommé Milo, toute une histoire !
Canalisé de mon cerveau
Vers mon stylo, Aout 2008,
J’étais encore assez minot
Entre deux eaux, sur mon orbite
Alter égo d’un nostalo
Y’a mieux pour partir dans la vie
Mais son crédo, sur son îlot,
C’était « La lune ! Ou bien oublie »
Je l’ai taillé d’un bout de moi
Que le meilleur, soyez en sur
Extrait de la pulpe des doigts
Au cœur du cœur, je vous assure
Il habitait dans ma caboche
Oui mais dedans, c’est pas l’extase
Ca s’y saignait comme au cinoche
C’est oppressant, c’est Alcatraz
C’était l’époque ou dans mes poches
Monsieur Levi s’était tassé,
Alors j’ai du, sans anicroche
Nouer Milo à mes lacets !

Depuis il me suit pas à pas
Me souffle des vers à l’occase,
Me souffle aussi, quand ça va pas
« Tu tomberas sur la bonne-case »
Depuis le temps, s’il joue le jeu,
M’insuffle espoir, sans s’en lasser,
C’est qu’il craint les dégâts si je
Marchait un soir sur mes lacets.

Milo, Mai 2010.

lundi 24 octobre 2011

Monsieur Levi


(Elle date de 2008. Est-ce que j'ai fait mieux depuis ? )


Bonjour à vous monsieur Lévi
J'aurai besoin d'un de vos frocs,
Futal-killer a re-sévi
Mes poches ont pas tenu le choc.

Moins c'est vide et plus j'en rajoute,
Des objets le long de mes cuisses, 
Mes bajoues deviennent une soute
Pour tous les trésors de la Suisse.

Déjà gamin je les gavais 
De bric et broc et de bricoles,
Lesté, mon falzar s'affaissait
Dévoilant mon slip à l'école.

En grand gourou des kangourous,
Mes mains maintenues bien au chaud
En fourreaux sans soie ni frou-frous,
Moi j'avais l'air un peu penaud.

Et quand craquait la toile usée
Sous le poids des peines et du plomb,
Maman savait désabusée
Rafistoler mes pantalons.

Mais aujourd'hui monsieur Lévi
Je dois me débrouiller tout seul,
Maman m'a dit "pars, vole et vis" 
Et tiens, prends-toi ça dans la gueule...

Je suis devenu misogyne
Et j'ai libéré le gamin
Qui enviait chez ses copines
Le contenant d'un sac à main.

Puis j'avais l'air efféminé
Avec un sac pour dame aux reins
Alors j'ai pris pour terminer
Une lady qui me le tient.

On se reverra vieux Levi
J'aurai les poches plus légères
Quand mon gamin sans préavis
Suivra les traces de son père.

Milo, Octobre 2008.

dimanche 16 octobre 2011

Embruns sous les paupières

Première version d'une nouvelle sur laquelle je dois encore plancher, pourtant déjà pas mal travaillée...


Blanc, jaune iodé, pourpre, noir, ça faisait un joli marbre sur le ripolin cru. J'ai mis les doigts sur mes arcades explosées, et j'ai commencé à composer un tableau. Le premier de la journée. L'énième depuis que j'ai commencé à y chercher l'hérédité. Il faut parfois savoir remonter loin. Par ma mère, je descends d'Eugène Delannoy, un peintre rattaché au mouvement impressionniste qui avait une certaine notoriété de son vivant. A tort ou à raison, il fait aujourd'hui partie des artistes oubliés.
Je ne l'ai pas connu. Je l'ai longtemps regretté avant de réaliser que quatre-vingt ans et quatre générations nous séparaient. Ma mère possédait tout de même, en unique vestige d'un héritage dispersé, une toile signée de sa main et intitulée : Les brumes du quai de Deûle. C'était un morceau de mon univers de môme que j'avais, lui, toujours connu et pourtant longtemps méconnu, trop familièrement lié aux briques de la cheminée pour qu'il me soit remarquable. C'était un jour qu'elle enlevait la poussière accumulée dans les rainures du cadre qu'elle me l'a très simplement présenté  : « Il nous vient de mon arrière grand-père, il était peintre impressionniste ! ». Je devais avoir six ans et je découvrait ce terme d'« Impressionniste » qui, sans mauvais jeu de mots, m'a immédiatement fait forte impression. Ça sonnait comme un gage de qualité. Je voulais faire ça aussi. Juste pour le mot. Impressionniste était bien plus prometteur que « métallo », ou que « galibot », et les yeux de ma mère s'allumaient si joliment quand elle l'avait au bout des lèvres, que ça s'imposait à moi sans alternative possible : ma dignité de fils était en jeu.
Elle me vantait le renom des Van Gogh, Degas et Gauguin pour mieux me vendre son si cher grand-grand-père : il les aurait côtoyés.  Elle me racontait qu'à une époque, on voyait son nom partout : « Delannoy sur des affiches, Delannoy dans les journaux, et dans la bouche de tout le beau monde ! »
Dit comme ça, ça ne pouvait étonner qu'elle, il faut l'avouer : des « Delannoy », dans le Nord, ça pullule comme les lapins dans les dunes. Ça faisait bien rire mon père. J'ai longtemps pensé qu'il avait du mal à comprendre quelle fierté on pouvait tirer d'une célébrité artistique, surtout aussi relative. Une fois, il avait débarqué fièrement dans la cuisine avec sa mine des bons jours,  et il avait lancé  « Jeannine, on parle du grand-père dans le journal ! ». Ma mère avait lâché ses épluchures et passé ses mains sous l'eau avant d'agripper le feuillet. Il lui désignait un cadre noir au nom de « Jean-Claude Delannoy ».  Notre aïeul s'appelait « Eugène », sans erreur possible, et avait déjà fait l'objet d'un quart de page dans la même section, une quarantaine d'années plus tôt. Les avis mortuaires, évidemment. Si mon père riait généreusement, ma mère avait eu l'air profondément déçue. Triste aussi, pour ce que je m'en souviens. Elle n'avait rien dit. Elle ne lui disait jamais rien, alors il était simplement retourné sur son canapé en souriant comme un crétin. Il avait remis ça le lendemain et le surlendemain, avec les décès quasi-providentiels de « Joséphine Delannoy » puis d' « Étienne Delannoy ». Ensuite, il s'est lassé. L'hécatombe quotidienne de Delannoy lui pesait sur le moral, ou alors, il avait fini par ressentir un brin de compassion pour sa pauvre femme.

Les Artistes Indépendants me connaissent sous le nom de Germain Delannoy, peintre autodidacte et  pensionnaire d'une maison de dingues. C'est un nom d'emprunt évidemment. Tout à l'heure, j'ai mordu l'infirmière parce que je croyais qu'elle voulait m'enlever ma peinture. En fait, elle voulait juste déplacer mon chevalet pour ouvrir la fenêtre. Pour me punir, elle m'a enlevé ma peinture. Pour la punir, je repeins la pièce. J'ai réinventé une palette de couleurs pour l'occasion, parce que je ne dispose ici que de deux bases: rouge sang et marron café. Le fond de tasse d'un café-sans-café qu'on me confisquera dès qu'on découvrira mon œuvre. J'ai fait une crise d'angoisse il y a une heure, parce que je n'arrive pas à figer les nuances du sang qui s'oxyde, elles finissent toutes par rejoindre le marron café. Après quelques coups de tête contre le mur, les verres de mes lunettes étaient pleins de tâche, alors j'ai du les enlever. Je n'ai jamais pu supporter les lunettes sales. J'ai pissé dans le pichet d'eau et je les ai mises à tremper. L'acide, ça nettoie bien. Maintenant, j'ai soif.

J'aime faire tremper les choses. Un jour je suis revenu de l'école avec mon cartable plein de flotte. Il avait joué le rôle du ballon lors d'une de nos parties de foot, et comme nous l'avions traîné dans la boue, je l'avais passé sous une gouttière qui débordait. D'abord vidé, évidemment : j'avais tout remis ensuite. Le temps que j'arrive chez moi, le papier avait tout bu. Ma mère m'a filé la raclée de ma vie en découvrant l'état de mes livres « tout neufs ». Dans l'un d'eux, il y avait le dessin que j'avais fait en Arts Plastiques. Je l'avais appelé Ma mère devant ma maison, un format A4 aux feutres et sans esquisse. Avec l'eau qu'il avait absorbé, il s'était étoilé et était devenu à mes yeux particulièrement impressionniste. Nouveau déclic au fond de moi : une porte s'ouvre, un gamin s'y engouffre. Le lendemain, je passais l'intégralité de mon œuvre sous les jets magnifiants de la pomme de douche. J'avais fait sécher sur la corde à linge ce qui devenait, à mes yeux, mes nouveaux chefs d'œuvre, parmi lesquels Ma mère dans la brume, La brume et la piscine de Roubaix et Brouillard de charbon qui n'était, avant cela, qu'une nature morte intitulée La cafetière.
Ensuite, j'ai sorti Les brumes du quai de Deûle de son cadre et j'ai essayé de l'améliorer avec mon tout nouveau processus. Dans la foulée, j'ai reçu la deuxième raclée de ma vie et ma première vraie leçon en tant qu'artiste : il est incorrect d'ajouter sa touche personnelle à l'œuvre d'un autre peintre, surtout s'il dessine à la craie.
Ma technique avait en revanche fait ses preuves sur l'encre de Chine, et drapait les lettres les plus austères dans des voilures noires qui s'étiolaient en jolis halos sépias. Cinq ans plus tard, un historien local, le genre intellectuel à moustaches, était venu prendre le café et des notes pour son prochain ouvrage. Dans les faits, il a passé sa matinée à consoler ma mère : en cherchant dans son placard les « courriers du front » que son père avait envoyé à sa famille, elle était tombé sur mes expérimentations sur d'autres lettres, celles de mon père lorsqu'il prenait encore le temps de la courtiser. Heureusement pour moi, elle avait mis la faute sur la tempête de l'été précédent, quand l'eau du toit s'était infiltrée jusque dans les chambres. Pour l'occasion, j'ai offert à ma mère une gouache représentant une marée noire que j'ai intitulé La nécessité d'un déluge.

Les néons de ma chambre suggèrent déjà un ciel, et sa mer en négatif. Une ligne d'horizon s'y est contrefaite. Je ne la figerai pas. Elle apparaîtra dans l'étau du reste, à la fin.  Ça n'existe pas, l'horizon.  Ce mot est un blasphème. Une représentation de l'intangible. L'avilissement d'une trinité : la terre, le ciel et la lumière, la seule réalité. Tout autre concept serait dangereux. Jusqu'à vos dernières retouches, repoussez le, faites le disparaître si vous y parvenez. Ne lui laissez jamais de place, il fixerait des limites. L'horizon, c'est pour les mauvais, les peureux, les gens sujets au vertige. Le ciel et la mer, c'est un ligne de front mobile, sans barbelés. Ce n'est pas un mur, tout au contraire.
Peindre les non-limites. Cracher les horizons comme je refuse les cachets. J'abhorre le milieu psychiatrique. Ces gorilles dont l'ambition est de bosser parmi les fous savent-ils ce qu'ils font ? Je prie pour eux. Je prie pour le salut du brin de dignité qu'il reste à celle qui nettoie mes toilettes. Pour le pardon de ces soignants qui croient en ma folie quand leur vision des choses bute sur ses propres limites. C'est d'orgueil qu'ils péchent.
Je ne suis pas fou. Pas à proprement parler. Probablement un peu extrême, sous le joug d'une passion qui ne tolère aucun compromis. J'ai parfois la conscience qui vrille, mais je ne m'emporte que d'excès de colère, jamais par manque de discernement. Je n'ai rien de ces gosses à problèmes qui barbouillent leurs feuilles de phallus noirs devant leur pédopsychiatre. J'ai oublié le mantra de l'enfant triste.  Dehors, j'ai mon nom sur les murs du monde entier, ici, je n'en ai que quatre et un prénom. Couvre feu imposé, menus mal-composés, activités de centre aéré. Sortez les douches froides, les électrochocs, la camisole des familles et les promesses de mort. Je mérite bien ça, c'est à ma mesure. Il est trop tard pour me consigner dans ma chambre, il est inutile de me confisquer mes jouets. J'ai grandi tordu, ne me parlez plus de tuteur. Il est trop tard.

Je me demande sans cesse où s'arrête l'hérédité. Moi qui suis si différent de mon père, j'emprunte le même chemin. Je finirai déchet. Le suis-je déjà ? Le ver est dans le fruit.
Il n'avait rien d'un artiste. Il n'était pas complétement rustre non plus, tant qu'il croyait à une autre de mes lubies, il m'offrait même volontiers des boites de feutres ou des crayons neufs. Je l'aimais bien, je crois juste qu'il m'a déçu. Mon père, ce n'était pas Eugène Delannoy. C'était un ouvrier comme des millions d'autres, et je m'en suis voulu de le lui reprocher. Il savait s'user, donner de sa personne sans s'en plaindre ouvertement, sans autre ambition que celle d'être une fourmi zélée. J'étais plutôt « fourmi ailée », je voulais chercher mon accomplissement dans un destin princier. J'avais bien les aspirations, mais lui avait la force, celle qu'un fils est en droit de réclamer et se doit d'admirer. J'étais son fils unique et il me le rendait bien. Il subvenait à mes besoins, et tolérait difficilement que ma mère puisse lever la main sur moi. J'ai aimé mon père. Malheureusement, il y avait cette fissure en lui, pot de terre qui se niait, il y avait ces soirs de solitude, ces soirs de malgré-nous où il implosait dans son mutisme. Le lendemain pouvait être différent, plein de ces horizons dont j'ai déjà parlé, ces horizons limitant qui n'existent qu'à l'instant T et qui meurent à T+1. Combien d'entre eux ont succombé sous ses yeux rouges ? Suffisamment pour abandonner au hasard cet affreux devoir qu'est celui de chef de famille. Non, il n'a pas terminé dans l'alcool, comme ces veaux à cinq pattes que l'on sacrifie par fétichisme de la science, non, il n'est pas parti, il n'est même pas mort, il a survécu. Le mot exact serait sous-vécu, comme un légume, une vache qui regarde passer les trains, un wagon recyclé en cabanon que l'on laisse rouiller dans sa pâture. Mais il n'était plus vraiment là, et quand il l'était, c'était un autre, irritable, un autre que j'irritais moi, plus particulièrement, avec mes « délires d'artiste » et mes « grandes idées de futur chômeur ». Peut être qu'en fait, c'est moi qui l'ai déçu. A l'amour a succédé la tolérance, celle qui unit malgré tout un père et son jeune fils. Une histoire des plus banales. Il est mort l'été dernier, plus de dépit que d'usure, discret comme l'éclipse d'une lune noire, stoïque sous la pluie tandis que l'orage passait. Personne n'a jugé nécessaire d'avertir la presse, pas même moi, mais j'ai eu mal, très mal. J'entamais enfin le deuil du père que j'avais perdu des années auparavant. Il ne lui manquait qu'un cercueil.
Par superstition, je me suis fait recoudre le nombril.

J'ai peur de la foudre puisqu'elle a terrassé mon père. J'ai peur de l'électricité en général, je peux même rester des journées dans le noir, dans la crainte de toucher l'interrupteur. C'est complétement irrationnel. Je crois que je redoute de mourir comme lui, après tant d'efforts pour vivre ma vie différemment.  Cette ironie du sort me détruirait avant même l'oubli. Un mort a sa fierté.

Je consent à l'affronter sous surveillance médical, dans le cadre de mes électrochocs. Ça fait passer chacune de mes raclées pour des caresses, mais ça remet les idées en place.
Ce que je peins là, ça s'appellera Embruns sous les paupières et ça raconte mes paysages désolés, le calme après une de leurs séances de gégène. J'ai pas de bleu pour la foudre, mais je m'en passe: pendant le choc, je ne vois que du rouge qui vibre comme une voile par grand vent et quand le ciel est dégagé, le phare blanc des néons, mon unique repère. Ça dure une fraction de seconde, même si ça paraît plus. J'ai quand même demandé des séances plus longues pour pouvoir enregistrer la scène. Ça me permettrais ensuite de peindre plus fidèlement, mais ils disent que c'est dangereux. Du coup je veux en faire le plus souvent possible, et ils sont d'accord pour ça. Là, c'est mon neuvième essai pour Embruns sous les paupières, et le premier sur le mur de ma chambre. J'ai assez mal commencé avec cette tâche à l'endroit où j'ai cogné ma tête... Avec quelques retouches, ça doit pouvoir faire un oiseau, comme ceux englués dans les tableaux de Munch.

J'ai aimé un oiseau tombé du nid, nu comme un poulet, avec un bec en fleur de primevère. Je l'avais mis dans une capsule de Kinder et je l'appelais « Ma Conscience », comme Jiminy Cricket dans Pinocchio. La nuit qui a suivi, Ma Conscience est morte dans son œuf. De faim, de soif, mais plus probablement étouffée. J'ai scellé l'œuf avec du gros scotch et je l'ai baptisé « Mon Inspiration ». Je l'ai gardé sur moi jusqu'à mon entrée à l'internat, où une sœur l'a ouvert puis me l'a confisqué en priant les saints. La nuit qui a suivi notre séparation, Mon Inspiration est venu me voir et m'a dit « Je rentre en toi ». Depuis, j'ai eu de très bonnes idées, mais une sacrée boule au ventre.
 A l'internat, il était interdit de peindre. Il était aussi interdit de faire plein d'autres choses, comme emporter ses dessins sous la douche, ou plus globalement, mouiller ses cahiers. J'ai quand même trempé un autoportrait de moi à l'encre, format A5, dans un bénitier après la messe. Ça m'a donné un air triste. Les sœurs ne m'aimaient pas, elles me disaient possédé par le Diable. Sœur Marie-France m'a même promis l'enfer. J'ai testé une série de châtiments corporels quand je lui ai répondu que ça n'existait plus, puisque Jésus était mort pour sauver tous les hommes.
Mon Inspiration était fier de ma répartie mais mes joues me l'ont reprochée longtemps.
Pendant cette période, j'ai peint avec de l'encre et de la sauce de viande et mon chef-d'œuvre s'est appelé Brume sur le Golgotha. Un père me trouvait quand même un certain talent et m'avait retenu dans la sacristie pour en parler. Ce jour là, il a pu tremper son pinceau plein de merde et je n'ai jamais plus été comme avant. Mon Inspiration avait gonflé et pesait sur mon estomac. J'ai vomi mon déjeuner et j'ai peint La passion du mariste, de mémoire.

Je n'aime pas peindre avec la nourriture. Le sang, lui, n'a pas d'odeur, tout juste une pointe métallique. J'entame la silhouette d'une grue devant les hangars, ça prend un air dunkerquois. Mon Inspiration a voulu que je noie un gosse. J'ai obéi mais je n'aime pas beaucoup ça. Comme compromis, je l'ai déjà recouvert d'une vague. Si on n'y fait pas trop attention, on pourrait prendre son petit corps pour un simple récif.
Dans la chambre à côté, mon voisin hurle et ça m'encourage. Il m'a dit qu'il voyait à travers les murs, mais avant ce soir, j'en doutais fort. Je n'oublie jamais que je suis dans un asile de fous.  Je rajoute un porte-containers. Il prend le large.

Je ne mets plus les pieds dans les églises. Je n'aime pas ces endroits lugubres et leurs vitraux cubistes. Sauf peut-être la cathédrale de Metz, avec ceux de Chagall. Je ne les ai vus qu'en photo, mais quand je sortirai de là, il faudra que j'aille voir ça. Ils ne ressemblent à aucun autre. Ce n'est pas un impressionniste, mais je l'aime bien, vraiment, il pourrait l'être. On dit qu'il a déjà diné avec mon grand-père, et il était russe, comme mon père. Juif, c'est dommage. Mais bon, Pissarro l'était aussi.
Une nuit, j'ai fugué de l'internat. J'avais 14 ans et l'interdiction d'aller voir l'exposition Cézanne. J'y suis allé malgré tout, et je ne suis plus jamais rentré. C'était deux mois avant ma confirmation. Je n'ai emporté que mes dessins. On ne m'a pas donné l'accès à l'exposition, mais j'ai pu parler à un guide, un étudiant en art, qui fumait une cigarette en attendant d'être demandé. On a parlé d'impressionnisme et des peintres que j'aimais. Je lui ai dit « Chagall », il m'a dit « ah oui ! » mais il n'a pas aimé mes œuvres. Ou plutôt, il a trouvé ça « intéressant » mais pas impressionniste du tout. Il a dit « majoritairement abstrait » « expressionniste » et même « surréaliste » alors je lui ai donné une baffe et je suis parti en courant. Il n'a pas essayé de me rattraper.
C'est ce jour là que j'ai renoncé à la voie universitaire.

Je coince. Il me faut vraiment du bleu.

Après ça, j'ai passé quelque mois dans la rue avec un chien qui savait parler. J'ai chassé le dragon et Manet m'a dit qu'il aimait mon travail. Chagall aussi, mais que ça manquait de bleu. Je peignais essentiellement avec des chutes de peinture que les ouvriers du bâtiment abandonnaient sur les chantiers. Quelques années plus tard pendant mon service militaire, j'ai eu du bleu de méthylène et de la teinture d'iode, mais je ne m'en suis pas beaucoup servi, parce que je gagnais de l'argent pour de la peinture et que l'on m'a viré rapidement. Dommage, j'avais rêvé d'être casque bleu.

Je ne suis pas sorti de là comme j'y suis entré, puisque j'avais contracté une jolie syphilis. Elle datait peut-être d'avant. Peu importe, j'ai été voir un médecin quand elle a commencé à m'empêcher de peindre. « Vous êtes un cas clinique » m'a-t-il dit, je n'ai pas aimé cette touche d'humour. J'avais à ce moment là les mains rigides et j'ai compris que les cubistes étaient des débauchés. Quand j'ai fini par me débarrasser de ce truc, il m'a fallu ré-apprivoiser mes mouvements et après quelques temps, je retrouvais la majorité de mes fonctions motrices. J'avais 35 ans et Mon Inspiration donnait des coups de becs dans sa boule de plastique. Il me disait « C'est de ta faute, tu ne dois aimer que moi ». « C'était physiologique » je répondais. « Ce n'est jamais que physiologique» qu'il me disait « La tentation est diabolique », et Toc ! faisait-Il dans mon estomac, Toc Toc, et mince, Il me parlait comme à un enfant,  me disait de peindre et de peindre encore. Me voilà à passer des jours et des nuits devant un bout de tapisserie tendu entre deux cintres, Toc, « mieux que ça ! Toutes ces dettes que tu as envers moi !»  Mon Inspiration me martyrisait, je peignais des vues panoramiques sans fin, TOC, « va chercher un autre rouleau » TOC « C'est laid c'est laid c'est laid !! », c'était la pire période de ma vie, TOC  « Recommence !» TOC. Je recommençais docilement, sans vraiment comprendre, quitte à me consumer, et parfois, Il pesait tellement que je vomissais de la bile, l'Éther de mon estomac vide. C'est arrivé une fois ou deux qu'Il me dise « C'est pas mal ! » et alors pour la peinture suivante, Il devenait plus exigeant et plus agressif encore.  C'était un calvaire, mais c'est là que sont nées les premières toiles que j'ai pu exposer en galerie : la série des Cordillères dont la pièce maîtresse mesurait presque 50 mètres et n'a pu être présentée au public que grâce à un socle en bois incurvé, fabriqué spécialement de façon à recouvrir trois murs, sans pour autant faire de plis sur le rouleau.
J'ai eu de la chance d'avoir les chinois. Les chinois achètent tout ce qu'on trouve dans des galeries parisiennes, pourvu que ce soit inhabituel et cher, et celui qui m'a acheté la série complète des Cordillères (me permettant par la même occasion de me loger et de me nourrir pendant de longs mois) m'a dit qu'il était susceptible d'acheter tout ce que je pouvais lui vendre. J'ai constaté plus tard qu'à l'habitude, ce genre de béotien riche et snobinard est accompagné d'un conseiller blanc, qu'il soit lui même blanc, asiatique ou arabe (Les noirs ne s'intéressent pas à ce genre de choses). Ce chinois là était tout seul. J'en ai profité pour lui revendre tout un stock d'œuvres plus ou moins médiocres, des œuvres de jeunesse en majorité, à des prix plus qu'intéressants pour moi. Je gardais au chaud mes favorites et je menais pour la première fois une vie confortable, parisienne, déjà un peu mondaine.  
 
Je me souviens des quelques bourgeoises que j'avais séduit en ces temps, parmi celles qui passaient outre les marques sur mon visage, mon physique d'homme usé et précocement sénescent. Ces femmes en manque de l'épice adultère rêvaient de quelque chose de nouveau avec un artiste, un marginal, l'homme de l'absolu que je leur évoquais, cet étranger dont la verve hors du commun pouvait s'apparenter à une promesse d'exotisme. Pendant l'une où l'autre de ces aventures, allongé sur mon lit après une séance d'ébats crapuleux, me venaient en tête des bribes de la vie à côté de laquelle je me sentais passer, toute en images d'Épinal, avec un appartement propret et une femme pour me consoler éternellement. Des enfants que j'aurais pu considérer comme ma plus belle création, à qui je pourrais même apprendre à peindre, ou qui m'auraient suffit à considérer la peinture comme une gaminerie. Une vie faite de séjours chez le coiffeur, de soirées à promener Georges, le braque que j'aurais offert à ma tribu pour noël, et de soirs à supporter les amis que l'on reçoit. Je me surprenais à sourire bêtement et je comprenais presque aussitôt à quel point cette vision pouvait être fausse. Je n'avais qu'à me souvenir de ma propre enfance en famille. Je n'avais qu'à regarder quel tas au rimmel coulant ronflait à côté de moi. J'avais en quelque sorte choisi de m'écarter du monde en fuyant une vie d'homme médiocre. Ce serait quitte ou double. Ce fut certainement un peu des deux.
« Tu ne les aimes pas vraiment ? » demandait Mon Inspiration. « C'est physique » je rétorquais. « C'est toujours physique » me disait-Il « Elles te détournent de moi ».
J'ai quitté chacune de ces femmes toujours plus conforté dans mon choix de vie. Je ne pense pas qu'elles puissent en dire autant.

Les chinois achetaient mes œuvres et s'appliquaient à vouloir prononcer mon nom à la française, ce qui avait un côté comique et pitoyable. De leurs « Mosseu Delano-hi » pleins d'humilité, je passais rapidement aux « Guerma Delanão » brésiliens, les premiers pas m'avaient beaucoup coûté mais ma réputation se faisait mondialement dans les milieux privilégiés, ma réussite semblait vouloir durer. J'avais commencé à exposer à Hong-Kong, puis naturellement à New-York et à Tokyo avant que mes fantaisies me rattrapent et que l'intelligentsia des hautes sphères y voient une occasion immanquable de me tourner en ridicule, de me renvoyer de la fange d'où je sortais à peine, tous jaloux de mon succès fulgurant ; jaloux, simplement, de mes fulgurances.
Contre cette coalition d'hommes puissants, je n'étais pas assez fort et ils parvinrent à me rabaisser au stade de caprice mondain. Je me retrouvais bientôt sur les pavés de Pigalle à peindre au fusain des portraits d'individus à la beauté contestable ou insipide, juste pour pouvoir m'alimenter. Cette déchéance  brutale avait suffit pour déchaîner Mon Inspiration, plus tyrannique encore qu'Il ne l'avait jamais été.
Je n'avais plus de temps à lui consacrer : je devais peindre utile, à la portée des mauvais. Il n'était pas d'accord. Ses moignons d'ailes sans plumes battaient dans mon ventre et m'ordonnaient de me sacrifier s'il le fallait « Te délivrer du mal, te délivrer du mal ! ». Je refusais. Il me torturait. Je résistais. Il prit alors l'initiative de me supprimer, je devais le devancer. Pour m'anesthésier je plongeais dans le seul vice que la vie au sommet m'avait épargné. Désormais, c'était à grandes larmes d'alcool que je calmais mes douleurs au ventre. Whisky sec, principalement, de mon réveil jusqu'au coma, en boucle libre. Il s'endormait puis se réveillait au moindre manque, alors, je buvais de plus belle. Un jour, il bougea moins vite, plus par soubresauts. Les jours suivant, je l'entendais à peine ronronner, et quelques temps plus tard, sans surprise, j'y étais parvenu. J'ai retrouvé les reste de Mon Inspiration baignant dans la cuvette des toilettes, au beau milieu d'un étron.

Ma vie s'esquisse comme sur une toile pendant que prend forme l'œuvre sur laquelle je travaille. Il faut me rendre à l'évidence : je suis en train de rater mon neuvième essai pour Embruns sous les paupières. La mort de Mon Inspiration me les a tiré des yeux, c'est juste ce que je devais éviter. Le paysage n'est pas techniquement mauvais mais il n'a pas l'âme. Ce n'est pas l'œuvre ultime que j'attendais, ce lièvre après qui on court toute sa vie pour dépasser les autres, sans jamais l'attraper. Ce ne sera même pas l'œuvre de mon renouveau, celle que je recherche et qui serait de qualité suffisante pour m'embarquer dans une nouvelle vague de créations. C'est peut-être mieux comme ça. J'ai encore trop d'années à venir pour atteindre le point d'orgue de ma carrière d'artiste et, ce point d'orgue, je n'aimerais pas le voir disparaître derrière une couche de ripolin neuve.

J'arrête là pour aujourd'hui, me voici en jachère, terre de sienne qui se repose. C'est essentiel dans le processus créatif. J'ai d'ailleurs eu une longue traversée du désert après la mort de Mon Inspiration. J'ai continué à vivre de mes portraits de Montmartre et de petites combines. Plus tard j'ai renoué contact avec mes parents que je n'avais plus vu depuis dix ans. Je ne les aurais jamais cru capables de vieillir autant. C'était trois ans avant que je ne dépose moi-même l'urne de mon père dans le caveau familial. Dans la foulée, j'aidais ma mère à faire le tri dans les affaires de son mari, espérant pouvoir l'épauler comme un bon fils l'aurait toujours fait. Je voulais abréger son deuil. En débarrassant l'armoire de leur chambre, j'ai trouvé, sous les lettres d'amour qu'elle avait conservé malgré le dégât des eaux, tout un tas de cahiers et de morceaux de papier liés entre eux par une ficelle de pain de sucre. A la première strate, on y trouvait des poèmes d'adolescent sur des cahiers jaunis. Plus haut, des états d'âmes et des écrits de jeunesse. Je découvrais incrédule les vestiges d'une vie d'artiste à ses débuts. Dans les niveaux les plus récents, il y avait un magnifique poème dédié à ma mère et le plus terrible, je crois, était la feuille du dessus de pile que je découvrais friable, pliée en deux. Un titre, une ligne illisible, longuement raturée au stylo noir, et puis la page blanche : l'embryon d'un texte avorté intitulé simplement Poème à mon fils. La date indiquait l'année de ma naissance

Cette nuit là, l'urne de mon père est venue me voir et m'a dit « Je rentre en toi ». Depuis, je peins avec les cendres de mon père, elles font Toc ! Toc Toc ! « Mieux que ça ! ».

Dernier regard au tableau. Je vais m'allonger.


Épilogue

Il y a eu la piqûre et puis l'aide soignant, le chariot de nettoyage. Il y a eu des mots et deux infirmiers bandant mon front. Encore des mots. Un vaporisateur bleu, et pschhht, le sang qui reprend vie.  L'oiseau de Munch est un rapace. Bleu. J'étais si près... Messianique liquide, ultime communion. Embruns sous les paupières. Béatitude.

Et puis l'horizon de l'éponge.

vendredi 14 octobre 2011

Rhapsodie


Soldats sans noms qui sonnez
Le canon à manivelle
Hâtez-vous donc d’entonner
Dans le ton cher à Nivelle
Cet air fumant à cinq-balles
Des obus qu’on ribambelle
Sur les Dames de Pigalle.

Les mitraillettes à pédales
Feront rouler en tambour
Sous les paillettes en métal
Les violons venus d’Hambourg
Combattants dans la mesure,
Sur un fond de calembour,
Balafon à la ceinture.

Tirailleurs exilophones
Périront Ad libitum
Sous les boulets Saxophones
Oubliés des harmoniums
Pissenlit par la racine
Trou dans les curriculum
Banania dans les cuisines.

Bombardier en crescendo
Joue les noirs et puis les blancs
Et sous le sol la si do
Les mines emportent au vent
Le docile soldat seul
Dont le soupir olifant
Marque le prochain linceul.

Mais sur les champs en clé d’ut
Sanglots longs, vies violées
Vont enfin chasser le luth
Du plateau vitriolé
Faisant taire un rhapsodie
Au profit d’un trio laid :
« Leiche, cadavre et body » 


Milo, Mars 2010.

dimanche 28 août 2011

Poète


Les paumes lissées d'être porte-voix
Voix qui s'est creusée au vent
Un bruit de désert dans une eau de silence
Il tousse sa vie vers les tympans sourds

Les vagues les ont arrondies
Ses petites fiancées d'août
Et dans son coffre enroué
Des trésors de violence
Miment leurs vies de château de sable

Il joue au loup avec le temps
En fige les mots de ses huit doigts glacés
"A celle qui savait la mer
Rongée par le sel"

Il en écrira tant
Sur elle et dans leur dos
Chloé, rire de sodium
Et bavure d'encre bleue
"J'en emplirai les eaux"
Tant promis sur le sable
Que le marchand passa

La suite est connue

Trois grains dans les yeux
Deux lignes d'horizon
Allongées sur la plage grise
Où pissent à vau-l'eau
A marée montante
Les chiens écrasés

J'en parle, c'est que je l'aimais
J'ai reçu en héritage un laisse de mer
Et sa dépouille de bois flotté

Milo, Août 2011.

mardi 16 août 2011

Dans la rue Edison...

"mors misera non est commori cum ultimum verbum (ou un truc comme ça*)"
"Ce n’est pas un malheur de mourir avec le dernier mot"
LUPANARIUUS OLYBRIUS, Empereur romain dyslexique


Dans la rue Edison aux pantins sans valeur,
Pantalons de velours, fortune en fort fergé,
J’ai vu déambuler, candélabre avaleur,
Les yeux illuminés d’un vieux chien de clergé

Condamné qui s’ennuie balançant l’encensoir
Chapelet purgatif pendu à la soutane -
En vadiretreau dru, clouté d’or exutoire,
Prêchant l’amor dans l’arme, en soufflant du méthane

Rue Edison, le glas des vies que l’étain scelle
Résonne en vol, flattant l’égo de l’inspiré,
Quand un gamin dont l’œil s’éteint en sentinelle
Réclame au clerc un calme impie pour expirer

« A vivre sans subtil, on périt seul un soir »
Sermonnait le curé, lui promettant l’enfer
L’indigent réplica -argument péremptoire-
« Ta gueule!……», puis mourut sans s’en faire.


Milo, Août 2010.